« Quel est le secret de la caméra ? » : dans Eau argentée, Syrie autoportrait le cinéaste Oussama Mohammad, qui s’était enfui de la Syrie au commencement de la guerre civile contre le régime d’Assad, en 2011, tente de chercher un sens au rapport entre cinéma et réalité. Exilé en France, il monte les vidéos d’amateurs, tournés per les syriens le long du conflit : Eau argentée est en fait un collage en chapitres – authentique exemple de cinéma collectif – composé par des images presque insupportables : enfants tués, hommes et femmes battus par les militaires, animaux défigurés. « Voilà du cinéma », nous répète plusieurs fois Mohammad : cinéma de la tragédie et tragédie du cinéma, réalité déchirée et images granuleuses, caméras qui passent d’un homme à l’autre, officiers qui filment, en « mettant en scène » leurs actes de violence.
Le film constitue aussi l’occasion pour une réflexion sur la peur, le courage et la lâcheté : ceux qui sont restés là – les auteurs des vidéos – agissent sur le cinéaste qui, à Paris, souffre de son absence et voudrait intervenir. Dans ce contexte, c’est le rapport entre Mohammad et la jeune kurde Wiam Simav Bedirxan qui fait le cœur de cette œuvre. Simav – en français « eau argentée » ‒ contacte le cinéaste pour qu’ils réalisent ensemble un film sur la situation de la Syrie : elle enverra le tournage, il montera le film. Simav qui participe à la résistance filme alors ce qu’elle voit et ce qu’elle vit – l’enseignement dans une « école de la révolution », la perte de sa mère et de la maison, le rapport avec Omar, orphelin de père, qui réussit, malgré tout, à ne perdre pas l’émerveillement dans son égard. Simav écrit à Mohammad, Mohammad écrit à Simav : on assiste à une réflexion sur la vie, sur le sens des mots, sur la brutalisation du genre humain et sur le rôle du cinéma aujourd’hui.
Eau argentée mène à la limite la définition de « cinéma d’engagement », en détruisant en même temps la distinction entre réalité et fiction, visibilité et invisibilité. La puissance des images est amplifiée de manière exponentielle par leur absence de qualité : Mohammad – avec Simav et les autres « mille et un » syriens qui ont participé au film – percent la représentation et nous rendent par conséquence un morceau de réalité à l’état le plus pur : notre regard, habitué à la beauté « construite » des images et aux ellipses du bon sens, a de la peine à s’y retrouver. Eau argentée, d’un côté, donne alors de la chair et du sang aux nouvelles quotidiennes des journaux télévisés, et, de l’autre, nous montre en même temps la possibilité d’un cinéma d’auteurs sans vanité ni intellectualismes. Si, comme l’a dit Adorno, « écrire un poème après Auschwitz est barbare », le cri de Mohammad et Simav est alors capable de mettre en question le status quo du cinéma d’aujourd’hui.
di Giulio Piatti