Quand on raconte une histoire de marginalisation sociale le risque est toujours le même, c’est-à-dire celui d’injecter, à l’intérieur du point de vue narratif, une sorte de moralisme qui juge les personnages et qui, en même temps, tend à résoudre l’intrigue avec un simple « happy end ». De plus, au cinéma, ces thèmes sont souvent filtrés avec un langage désormais standardisé, axé sur l’utilisation de la shaky cam ‒ « plus réelle que le réel » – et sur l’absence presque totale de la musique.
Bande de filles (en italien Diamante nero) renverse ces principes : Céline Sciamma – déjà connue du grand public avec Tomboy – raconte le coming of age de Marieme, jeune fille de 16 ans qui découvre la vie des banlieues parisiennes, avec une attention micrologique portée sur les relations sociales parmi les jeunes et avec un style de direction frais et en même temps rigoureux. Marieme, en échec à l’école et avec une situation familiale compliquée – père absent, mère toujours au travail, frère violent – trouve son rachat dans un groupe de jeunes filles, qui vivent de petits vols et de règlement de comptes avec d’autres bandes de filles. Marieme, qui devient ainsi Vic, avec une série de choix – y compris la relation avec un ami de son frère ‒ s’éloignera peu à peu, physiquement et psychologiquement, de sa famille et de son quartier.
Dans Bande de filles on entre vraiment dans la « situation » de Marieme : l’oppression des lieux, le code social à la base des relations, le machisme qui croise les genres, dans un cadre général de ségrégation économique et sociale, ne sont jamais communiqués explicitement comme « message » à penser, mais débordent naturellement de chaque (beau) cadrage. En fait la poétique de Sciamma trouve une parfaite harmonie entre l’urgence expressive et la mise en scène, qui n’est ni baroque ni faussement « pauvre » : les passages les plus formels – accompagnés de la merveilleuse bande sonore électronique composée par Para One – ne sont jamais autoréférentiels, mais arrivent chaque fois au moment juste. C’est le cas, par exemple, de la scène où les jeunes filles, dans une chambre d’hôtel, chantent Diamonds de Rihanna : ici on perçoit avant tout un sentiment de bonheur, de liberté qui nous transporte avec simplicité dans le monde, délabré mais vital, des filles de la bande.
Sans doute influencé par la sérialité télévisuelle américaine, Bande de filles se situe à la moitié exacte d’un parcours francophone qui a su réarticuler le rapport forme-contenu dans un sens tout à fait moderne, de l’épique underground de Jacques Audiard jusqu’au style ultra-pop de Xavier Dolan. Avec la rigueur propre d’un essai de sociologie plutôt que d’un scénario classique, le dernier film de Céline Sciamma, à travers la vie de Marieme, nous mène avec intelligence au point de jonction entre domaine public et privé, entre liberté et conditionnement : ici Bande de fille révèle son cœur, authentiquement politique.
de Giulio Piatti